Brahim, l’épicier de ma rue, vient de mourir de façon inattendue. J’ai été peiné de cette mort comme si Brahim faisait partie de ma famille. Il m’était devenu si familier ! J’en ai été surpris moi-même. Chaque fois que j’allais faire mes achats chez lui, il m’ apprenait un nouveau nom en Darija.
Se faire frère et ami
Cette façon d’entrer simplement en conversation avec les gens, de saluer chacun la main sur le cœur, de s’intéresser aux soucis des uns et des autres, est la façon concrète pour moi de rentrer dans la vie et la culture des gens de cette ville en territoire berbère. J’ai encore tant à apprendre… Pourtant, je perçois bien la façon dont Charles de Foucauld cherchait à aborder les gens de Tamanrasset en son temps : « Je ne suis pas ici pour convertir les Touaregs, mais pour essayer de les comprendre… » Ce que j’ai appris de son expérience de vie est de devenir progressivement « celui qui se fait frère et ami ».
Lors des travaux de rénovation du domaine de l’église, je préparais le déjeuner des ouvriers et je les servais à table… à leur grand étonnement! À travers ces gestes, une fraternité est née entre nous mais j’ai réalisé aussi que je vivais ainsi avec eux une annonce de l’Évangile. À Taroudannt, m’occuper du Peuple de Dieu concerne tous les habitants de la ville, pas seulement les rares chrétiens qui se rassemblent le dimanche soir pour l’Eucharistie, mais aussi tous les marocains qui sont autant de croyants musulmans. Je me dois d’être bon avec eux et de ne jamais mépriser qui que ce soit.
Se faire accepter
Humaniser le monde autour de soi est la façon immédiate d’une annonce de l’Évangile dans un pays où le prosélytisme est interdit. Arriveront-ils à me regarder comme un frère, comme j’essaye de les regarder ? Dans une lettre à un ami, Charles de Foucauld le traduisait ainsi : « Il faut nous faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami sûr à qui on va quand on est dans le doute ou la peine… »
Comme missionnaire au Maroc, je ne cherche en rien à le « copier», mais à me laisser stimuler par son intuition humaine et spirituelle, qui n’est autre que celle de Jésus. Et devenir cet ami sûr, ça se travaille… Ce que dit Foucauld à propos de sa façon d’être avec les musulmans, il nous faut l’exprimer par rapport à tous ceux qui nous sont des « autres », des étrangers par leur foi religieuse ou leur conviction. En cela, l’encyclique du pape François, Tutti Fratelli, tombe à pic. Qu’en nous rencontrant, l’autre sache qu’il peut réellement compter sur nous. Ce programme simple et quotidien, porteur de joie et de paix, annonce le Royaume de Dieu dans ce monde qui est le nôtre, que ce soit à Taroudannt ou en Alsace. Je vais tâcher de m’y occuper encore ces trois prochaines années.
Marc Helfer pour Carrefours d’Alsace, novembre 2020