22 Jan 2023

Lumière du monde

Homélie de Mgr Colomb

Dieu nous invite à la liberté, il invite tout spécialement ceux qui sont privés de repères. Le temps de la conversion prépare pour nous un avenir.

Commentaire missionnaire

La Parole de Dieu dans la liturgie d’aujourd’hui nous invite à contempler le début des activités publiques de Jésus, comme le raconte saint Matthieu dans son Évangile. A partir de l’emphase de l’évangéliste, nous pouvons déceler et mieux comprendre certaines caractéristiques fondamentales de la mission du Christ et, par conséquent, de tous ses disciples. Cette étude est très significative et plus qu’appropriée dans le contexte actuel du dimanche de la Parole et de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens que nous célébrons ces jours-ci.

« Depuis les commencements en Galilée »

C’est un fait historique que Jésus a commencé ses activités publiques depuis la Galilée, la région nord de la terre d’Israël. Ceci est souligné dans diverses sources et, de manière concise et emblématique, saint Pierre l’Apôtre l’annonce ainsi dans un de ses discours dans les Actes des Apôtres (que nous avons déjà entendu en la fête du Baptême cette année) :« Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous » (Ac 10,37-38).

Partant de ce constat, saint Matthieu l’Évangéliste a voulu souligner davantage qu’il s’agit ici de la double nature de cette Galilée à partir de laquelle Jésus a commencé sa mission publique. D’une part, ces « territoires de Zabulon et de Nephtali », c’est-à-dire le territoire qui a été légué à ces deux tribus d’Israël (après être entré dans la Terre Promise). D’autre part, on l’appelle aussi « Galilée des nations », c’est la Galilée des peuples païens, car après la chute du Royaume du Nord d’Israël (721/722 av. J.-C.), les peuples non israélites sont allés s’y installer et peu à peu ont peuplé cette région.

Cette « double » identité de Galilée est mentionnée dans l’écrit du prophète Isaïe (première lecture), et elle est précisément reprise par l’évangéliste Matthieu pour souligner l’accomplissement de l’Écriture pour le début de la mission de Jésus.

La Galilée du temps de Jésus est donc celle des Gentils et d’Israël ; il devient ainsi l’image du monde entier dans lequel vivaient ensemble Israélites et non-Israélites, juifs et païens. C’était le (micro)cosme dans lequel Jésus travaillait et accomplissait le plan de salut de Dieu pour toute l’humanité. C’est dans ce pays que Jésus, le Fils de Dieu a tout commencé, et c’est ainsi que tout est né « une grande lumière » de Dieu pour « le peuple qui habitait dans les ténèbres ». A tel point qu’il déclarera lui-même : « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie » (Jn 8,12).

Il est la lumière qui éclaire et révèle, en paroles et en actes, le vrai visage du Dieu miséricordieux et compatissant qui aime et appelle chacun à connaître, c’est-à-dire à expérimenter, son amour pour jouir de la vie en abondance avec et en Dieu. Tout cela commence à partir de la Galilée d’Israël et des Gentils.

A cet égard, il est significatif que saint Matthieu, à la fin de son évangile, « ramènera »tout le monde, Jésus et ses disciples, à « en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre » (Mt 28,16). Il y aura la dernière apparition de Jésus ressuscité à ses disciples, avant l’Ascension, et là il leur laissera le grand commandement missionnaire : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples […].Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,19-20).

Ainsi se referme le cercle de la mission de Jésus sur la terre : de Galilée à Galilée, et ainsi commence maintenant la mission de ses disciples, de tous, y compris les « dubitatifs » (cf. Mt 28, 17) : de Galilée au monde entier dont le symbole reste cette terre de Zàbulon et Nèftali. En allant jusqu’aux extrémités de la terre, les disciples missionnaires de Jésus resteront mystiquement dans sa Galilée, où il continuera à être avec eux dans leurs activités missionnaires. « tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

Pour cette raison, ses disciples aussi auront la même mission et vocation d’être « lumière du monde », tout comme leur Maître Jésus, la lumière de Dieu qui brille dans les ténèbres, dans la Galilée du monde.

« Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait… proclamait… guérissait »

A la lumière du symbolisme de « Galilée », ce n’est pas un hasard si l’évangéliste Matthieu a ensuite voulu offrir une description sommaire des activités de Jésus : « Jésus parcourait [periēgen] toute la Galilée ; il enseignait [didaskōn]… proclamait [kēryssōn]… guérissait [therapeuōn] ». L’accentuation de « toute la Galilée » semble vouloir souligner le caractère « universel » et « omniprésent » de la mission, tandis que les quatre verbes résument les quatre actions fondamentales de Jésus, le Missionnaire du Père par excellence.

Tout d’abord, « Jésus parcourait [periēgen]». Et c’est la première caractéristique du missionnaire de Dieu, dans le sens de « la plus importante ». Il incorpore (ou soutient) les autres actions, en particulier cette triade paradigmatique : « enseignait [didaskōn]… proclamait [kēryssōn]… guérissait [therapeuōn] ». La « marche » de Jésus reflète une vérité historique : le Jésus historique allait de village en village pour accomplir la mission que lui avait confiée le Père. Il a lui-même recommandé à ses disciples de faire comme lui, mais avec une précision importante : « Ne passez pas de maison en maison (Lc 10,7) » (de village en village oui, mais pas de maison en maison, peut-être pour éviter le tourisme religieux au lieu d’un voyage missionnaire !). Il convient de rappeler ici ce que Jésus dit aux premiers disciples de Capharnaüm, lorsqu’ils le cherchèrent tôt le matin, après une journée d’activité et le trouvèrent en prière solitaire dans un lieu désert hors de la ville :

« Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti » [littéralement je suis sorti] (Mc 1,38). Jésus, le missionnaire de Dieu, sorti divinement du sein du Père, est désormais toujours «en marche» vers les villages de «toute la Galilée».

En outre, comme mentionné ci-dessus, dans sa mission, Jésus a réalisé trois actions concrètes qui incorporent toutes les autres. De plus, comme le souligne saint Matthieu dans le texte, l’universalité des destinataires/bénéficiaires de ces actions est indiquée : « il enseignait dans leurs synagogues » pour le juifs, « proclamait l’Évangile du Royaume » – implicite pour tous, mais particulièrement pour ceux qui n’ont pas fréquenté les synagogues, et « guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple » – pour les deux (en effet, Jésus a opéré des guérisons à l’intérieur et à l’extérieur des synagogues !).

Nous pourrions parler indéfiniment de cette triade d’actions, mais il nous suffit de souligner qu’elles sont intrinsèquement liées les unes aux autres dans les activités missionnaires de Jésus ; elles vont ensemble et visent la libération et le salut intégral (corps, âme, esprit) que Dieu veut accomplir à travers Jésus, son messie, comme l’affirme saint Pierre Apôtre dans son discours cité plus haut : « Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui » (Ac 10,38).

Cette triade sera fondamentale à retenir et à réaliser pour tout missionnaire de Dieu à l’école de Jésus : enseigner, annoncer, guérir, dont le pivot était et est toujours l’annonce [kēryssō], traduisible aussi par prédication/proclamation, de la bonne nouvelle de la Royaume de Dieu. En effet, la toute première action et parole de Jésus que l’évangéliste mentionne est précisément celle-ci : « À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : “ Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche ”» (Mt 4,17).

 

« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche ». Une conversion chrétienne continue, missionnaire et œcuménique pour le Royaume.

L’annonce de la venue du Royaume de Dieu (appelé ici «royaume des cieux» pour éviter, selon la voie juive, de mentionner directement Dieu) s’accompagne de l’invitation cordiale à la conversion pour accueillir cette nouvelle réalité donnée par Dieu en Jésus.

En effet, la conversion, ou plutôt l’action de convertir, comme nous l’avons expliqué dans l’un des commentaires précédents, ne se limite pas à un simple abandon des péchés pour retourner à Dieu ; selon l’étymologie du mot grec metanoiete « convertir ! », cela implique aussi et surtout de penser (noeite) au-delà (meta), de dépasser les schémas habituels de raisonnement, de croire à l’Évangile annoncé et réalisé par Jésus et d’embrasser le don du Royaume qui s’est rapproché de tous en Lui.

Il est curieux de constater que selon l’Évangile de Matthieu (que nous entendons aujourd’hui et les dimanches de cette année liturgique A), cette invitation cordiale mais pressante à la conversion pour le Royaume n’a pas été annoncée pour la première fois par Jésus. Cela s’est réalisé sur les lèvres de Jean-Baptiste qui devient ainsi le précurseur de Jésus aussi dans l’annonce fondamentale du Royaume. La proclamation du Royaume prochain résonnera alors dans l’annonce des disciples de Jésus, envoyés par lui pour préparer sa venue, comme l’a recommandé leur Maître et Seigneur :

« Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche » (Mt 10,7). Cela implique toujours une invitation à la conversion, c’est-à-dire à un changement d’esprit et de cœur pour accueillir le don du Royaume en Jésus, et cette exhortation est explicitée par saint Pierre à la fin de son premier sermon du jour de la Pentecôte : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ…» (Ac 2,38).

Cette annonce-invitation restera toujours au cœur de la mission des disciples de Jésus, appelés à œuvrer en tout temps et en tout lieu pour la conversion de tous à Dieu, à commencer par eux-mêmes. Le bienheureux Paolo Manna, infatigable missionnaire en Birmanie et fondateur de l’actuelle Union Pontificale Missionnaire, proclamait donc à l’époque : « Toutes les Églises pour la conversion du monde entier », expression également citée par saint Jean-Paul II dans l’Encyclique Redemptoris Missio comme mots d’ordre pour la mission de l’Église aujourd’hui.

A cet égard, il faut encore souligner que l’appel à la conversion s’adresse aussi et surtout à tous les chrétiens, appelés à devenir de plus en plus ce qu’ils sont en vertu du baptême : « saints et immaculés dans l’amour », « lumière du monde », ou comme le souligne le pape François dans le dernier Message pour la Journée mondiale des missions : « des prophètes, des témoins, des missionnaires du Seigneur ! »

Il s’agit de la conversion continue dans la vie de foi des disciples qui, en raison de la fragilité humaine, ne sont pas toujours à la hauteur de leur « sainteté » vocationnelle, comme cela s’est déjà produit pour les premiers chrétiens de Corinthe qui « méritaient » l’exhortation solennelle de saint Paul l’Apôtre: « Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ : ayez tous un même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions » (1Co 1,10).

Il faut se rappeler que le Seigneur Jésus lui-même a prié le Père avec des paroles émouvantes, avant sa Passion, pour l’unité dans l’amour de ses futurs disciples : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un » (Jn 17,21.23).

 

Prions :

Ô Seigneur, fais-nous sentir ton cœur tout épris du Royaume de Dieu ainsi que ton invitation cordiale à la conversion à ton Évangile de paix et d’amour.

Aide-nous à vivre constamment cette conversion dans nos vies, afin que nous-mêmes, avec Toi et en Toi, devenions l’invitation vivante, en paroles et en actes, à la conversion au Royaume pour ceux qui ne Te connaissent pas.

Et dans notre mission d’être des témoins de Toi et de Ton Royaume, aide tes disciples à être toujours plus unis dans Ton amour, en surmontant les divisions existantes dans nos églises et nos communautés.

Laisse ton visage briller sur nous, et nous serons sauvés et resplendissants de ta Lumière pour le monde entier.

Marie, mère du Christ et mère de ses disciples, priez pour nous ! Amen!

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