3 Fév 2021

Un fil pour accélérer... et se convertir !

Sénégal, 16 février 1997 : premier dimanche de carême.

Après une matinée assez occupée : parcourir les pistes de brousse, assurer une heure et demie environ de confessions, célébrer la messe et s’entretenir avec la communauté chrétienne de Ndiol Mangane, le moment est venu de rentrer à la maison.

Désormais comme d’habitude, avec mes confrères, je me retrouve à la cuisine, entre casseroles et poêles, à préparer le repas du dimanche. Dans l’après-midi, je prévoyais de faire un saut à Foua Loul, où j’étais allé la veille avec les jeunes scouts. Avec eux, j’avais passé une très belle soirée autour d’un feu de camp qui éclairait la nuit obscure. Le rythme des tam-tam, les chants improvisés et les danses favorisaient une ambiance fraternelle et joyeuse.

Mais voilà que le programme de l’après-midi change : il faut choisir entre retourner chez les jeunes scouts ou aller chez une vieille malade qui demande à être baptisée ! Dilemme ! L’évangile du premier dimanche de carême m’aide à choisir : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : convertissez-vous et croyez à l’évangile » (Mc 1, 15). Le temps est venu pour cette vieille malade ; maintenant, elle veut changer de vie et croire à l’Évangile, en demandant le sacrement du baptême.

Avec la même copine de voyage… ma Citroën 15, je pars vers Ndiol Madiké. Je trouve la vieille – son prénom seereer est Koumba – dans sa chambre ; elle est là par terre, assise sur une natte. Sa famille me dit qu’elle n’entend plus ; en revanche, ses yeux sont vifs et manifestent une grande joie. Avec le catéchiste du lieu et sa famille, parmi lesquels les enfants, les belles-filles et les neveux, nous nous recueillons en prière.

Le rite du baptême est adapté à la circonstance ; la vieille Koumba de 75 ans choisit comme prénom chrétien : Rosalie. J’invite les gens à exprimer leurs intentions de prière. C’est beau d’écouter les prières spontanées qui jaillissent de leurs cœurs simples. Le point culminant arrive lors du symbole du cierge allumé. La vieille Koumba Rosalie, après avoir pris le cierge, le serre entre ses mains tremblantes. Elle n’entend pas, mais son regard fixé sur la flamme parle pour elle. Suivant le rite, je proclame en seereer : « A qooland alaa Yeesu Kristaa. » (La lumière de Jésus Christ), et mes yeux croisent les siens, fixés sur la lumière du Christ, auteur de la vie.

A la fin du rite, Koumba Rosalie me tend les mains, et serre les miennes entre les siennes. Elle me regarde un instant puis me dit : « Jook a njal a paax. Yaasam o Yaal oxe a barke’ong too a ci’ong jam. » (Merci bien. Le Seigneur te bénisse et te donne la paix). Il n’est jamais trop tard pour changer de vie et choisir le Christ. Il lui a fallu 75 ans avant de faire ce pas : le moment maintenant était arrivé.

Après avoir salué la nouvelle baptisée et le reste de la famille, je m’éloigne, sous le regard joyeux des enfants. Coup de théâtre : mon… inséparable copine me fiche un coup… le fil de l’accélérateur se casse ! Petit à petit je commence à paniquer, la colère entre temps monte… bref, je m’énerve.

La phrase de l’Évangile remonte à la surface : « convertissez-vous et croyez à l’évangile » cela d’ailleurs… vaut aussi bien pour moi ! Après avoir donné un coup d’œil… incompétent au moteur, je demande un fil de fer. Je le branche directement – j’ignore le terme – au bout de l’accélérateur. Je fais ensuite passer le fil par la vitre, afin de pouvoir actionner l’accélérateur non avec les pieds, mais avec la main, c’est à dire en tirant le fil !

Ma Citroën 15, au début ne bouge pas ; je demande alors au catéchiste de pousser un peu. J’engage la seconde vitesse, je tire le fil et je pars. Le catéchiste en courant arrive quand même à monter. Je vous laisse imaginer la scène, comme pour la série « La caméra cachée ! » À peine arrivés à Ndiol Mangane, il doit descendre, mais pour continuer, il faut tout refaire …pousser une seconde fois. Alors, clac… on tourne, ou mieux, on redémarre !

Je me retrouve tout seul et, chemin faisant, je pensais : « Je peux avancer grâce à ce fil de fer ; plus je tire, plus j’ai mal à la main, mais j’avance. C’est étrange ! » Si je lâchais seulement un peu, je m’arrêterais et je risquerais de ne plus repartir. Cette simple constatation emmène ma pensée ailleurs. Notre vie et notre foi sont donc entre nos mains, il faut par conséquent les garder bien serrées. En d’autres termes, il faut se prendre en main.

Se convertir, se repentir, changer de vie, suivre la logique de l’évangile, aller à contre-courant demande beaucoup d’efforts ; j’avais mal à la main en tirant le fil de fer, mais c’est justement comme cela que je pouvais aller de l’avant. C’était un fait banal, si vous voulez, un fait arrivé accidentellement, mais parlant, révélateur de quelque chose de grand et donc invitant à la réflexion.

Tout au long des pistes de brousse, j’ai dû abandonner plusieurs fois la piste principale pour éviter les charrettes qui venaient à contre sens. Je ne sais pas ce que disaient les gens, quand on me voyait quitter la route ! Chez nous, ils auraient dit : « Peut-être il s’est levé du mauvais pied ou peut-être il se sera soûlé ! »

Ici par contre, autre continent, autre culture, autres manières de dire, ils auront pensé : « Pambe of ngatee. » (Tes chèvres ne sont pas rentrées) ou bien « O ndeetar yoonee fo sagu um. » (Celui-là il n’est plus lui-même). Ils se seront demandé encore : aujourd’hui, père Alfonso est passé à toute vitesse, sans saluer ni par un signe de la main ni en klaxonnant, et il ne s’est pas arrêté non plus pour nous proposer de nous emmener. Pour l’instant, je n’ai encore que deux mains… et toutes les deux étaient prises : quoi faire ?

Le « convertissez-vous et croyez à l’évangile » avait trouvé une autre interprétation… très personnelle ! Prends ta vie en main, serre-la fort, tire le fil, même si cela te fait mal, et tu verras que quelque chose changera et Quelqu’un en toi entrera. C’était le premier dimanche de carême. Carême : se convertir… en accélérant !

Le 5 mars 1997 : après à peine deux semaines, la néo-baptisée Koumba Rosalie est appelée par Dieu dans le royaume des cieux. J’ai repensé à la phrase de l’évangile, le jour de son baptême : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : convertissez-vous et croyez à l’évangile » (Mc 1, 15).

C’était son premier carême, mais sa première Pâque sera Éternelle. Carême : en accélérant au maximum, même si tard, on atteint le maximum, Dieu lui-même.

Alfonso Bartolotta omi

 

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