19 Juin 2022

Solennité du Saint-Sacrement

Eucharistie – “source et sommet de la vie et de la mission de l’Église”

« La fête du Corpus Domini nous invite à renouveler l’émerveillement et la joie pour ce don merveilleux du Seigneur, qu’est l’Eucharistie », a ainsi rappelé le Pape François lors de l’Angélus, sur la place Saint-Pierre, dimanche 23 juin 2019. Célébrons donc avec joie cette solennité du très Saint Corps et Sang du Christ, qui est fêtée après le dimanche de la Sainte Trinité (le jeudi selon l’ancienne tradition, dans certains pays comme le Vatican ou la Pologne, le dimanche dans d’autres pays comme l’Italie ou le Vietnam).

D’une telle succession émerge l’Eucharistie comme « don gratuit de la Sainte Trinité », comme l’écrit le Pape Benoît XVI dans son Exhortation Apostolique Sacramentum Caritatis précisément « sur l’Eucharistie source et sommet de la vie et de la mission de l’Église », comme le souligne le titre. J’invite chacun à relire ce beau document pour une révision et un approfondissement du mystère eucharistique (en consultant peut-être aussi le Catéchisme de l’Église catholique à cet égard). Ici, nous pourrions nous arrêter sur les trois aspects intéressants dans une perspective missionnaire, en suivant le fil logique de certains détails particuliers de l’Évangile de la Messe. 

 

Le contexte « missionnaire » de la multiplication des pains

L’Évangile d’aujourd’hui nous fait réécouter le récit de la multiplication des pains selon saint Luc. Ce miracle, que l’on retrouve dans les quatre évangiles (signe d’une tradition ancienne commune), représente une sorte d’« anticipation » de l’institution de l’Eucharistie par Jésus lors de la dernière Cène, comme le suggèrent les évangélistes eux-mêmes. Saint Luc, cependant, plus que les autres, a placé l’événement dans un contexte missionnaire. En effet, le début du passage que nous avons entendu avec un générique « En ce temps-là, Jésus parlait » correspond en fait au moment précis du retour des apôtres après avoir été envoyés par Jésus « proclamer le règne de Dieu et guérir les malades » (Lc 9,2). Ainsi, la multiplication des pains a un cadre très significatif, que je voudrais citer en entier : « Quand les Apôtres revinrent, ils racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. Alors Jésus, les prenant avec lui, partit à l’écart, vers une ville appelée Bethsaïde. Les foules s’en aperçurent et le suivirent. Il leur fit bon accueil ; il leur parlait du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin » (Lc 9,10-11).

 

A la lumière d’une description aussi précise de Saint Luc, la perspective toute missionnaire de l’événement apparaît clairement. Les douze « apôtres », c’est-à-dire les « envoyés », sont revenus de leur mission. Jésus prévoyait un temps ensemble avec eux « à l’écart », mais pour les foules qui « suivirent ». Il ne s’est pas reposé plus longtemps. Au contraire, il « leur fit bon accueil » et « il leur parlait du règne de Dieu et guérissait », réalisant exactement les deux activités confiées aux Douze dans leur mission, comme nous l’avons vu avant (cf. Lc 9,2). À cet égard, les paroles du prophète de Dieu, plein de zèle pour le salut du peuple, me viennent à l’esprit : « Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle » (Is 62,1). Ce sont des paroles qui trouvent maintenant leur plein accomplissement en Jésus.

 

Le pain « complet » offert par Jésus

La mission d’annoncer l’Évangile, même au moment « inopportun », pour reprendre l’expression de saint Paul, continue donc, malgré la fatigue physique. La multiplication des pains s’inscrit donc dans ce contexte de la mission inlassable de Jésus pour le Royaume de Dieu. Et tout commence par la belle action d’accueillir, signe d’un amour sans limite, jusqu’à s’oublier pour servir les autres. À tel point que le passage parallèle de l’Évangile de Marc explicite qu’à ce moment-là, « Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement » (Mc 6,34).

De plus, comme le souligne le récit lucanien, avant de nourrir le peuple avec du pain, Jésus leur avait enseigné les choses de Dieu jusqu’au soir ! Ainsi, en ce jour mémorable, le pain qu’Il a partagé avec la foule n’était pas seulement le pain physique de l’orge ou du blé, mais aussi et surtout celui de la Parole de Dieu. Jésus a offert le soin « complet » pour le peuple, se donnant tout entier dans la mission.

 

Il en va de même pour le « pain eucharistique » que Jésus offre avec l’institution de l’Eucharistie, lorsque son « heure » est venue. Ce sera le pain de son corps et le sang de sa chair « pour la vie du monde » (Jn 6,51), mais en même temps ce sera aussi le pain de l’enseignement de Lui, la Parole de Dieu, qui a des « paroles de la vie éternelle », comme nous le voyons dans le long discours eucharistique de Jésus après la multiplication des pains dans l’Évangile de Jean (cf. Jn 6,26-58.68). C’est le pain « complet » que Jésus offre avec amour pour le salut du monde.

À cet égard, la réflexion du pape Benoît XVI est révélatrice :

Jésus, dans l’Eucharistie, donne non pas « quelque chose » mais se donne lui-même ; il offre son corps et il verse son sang. De cette manière, il donne la totalité de son existence, révélant la source originaire de cet amour. Il est le Fils éternel donné pour nous par le Père. Dans l’Évangile, nous écoutons encore Jésus qui, après avoir rassasié la foule par la multiplication des pains et des poissons, dit à ses interlocuteurs qui l’avaient suivi jusqu’à la synagogue de Capharnaüm : « C’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn 6, 32-33), et il en vient à s’identifier lui- même, sa chair et son sang, avec ce pain : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6, 51). Jésus se manifeste ainsi comme le pain de la vie, que le Père éternel donne aux hommes. (Sacramentum Caritatis 7)

 

Le pain de Jésus et la mission de la communauté des fidèles

En revenant au récit évangélique de la multiplication des pains, nous constatons que la mission de Jésus était partagée avec les apôtres. Ces derniers, qui coopéraient déjà avec Jésus dans la proclamation du Royaume et le soin des malades, seraient également appelés à coopérer au miracle du pain à la fin de la journée. En effet, lorsqu’ils voulaient envoyer la foule au loin pour « trouver de la nourriture », « Mais il leur dit :  » Donnez-leur vous-mêmes à manger « ». En outre, il sera demandé aux apôtres de faire asseoir le peuple « par groupes de cinquante environ », en les organisant comme lors du voyage du Peuple de Dieu dans le désert (cf. Ex 18,21.25). Plus important encore, ce seront précisément les disciples qui recevront de Jésus les pains et les poissons pour les distribuer à la foule : « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux [lett. « il les bénit »], les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule » (Lc 9,16). Enfin, dans la mention que « puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers », on peut deviner que ce seront ces disciples qui les auront ramassés (comme l’explicite l’Évangile de Jean [cf. Jn 6, 12-13]). 

Comme lors de la multiplication des pains, Jésus a également impliqué ses disciples dans le Mystère eucharistique en leur donnant le commandement explicite : « Faites cela en mémoire de moi ». En effet, cette recommandation est répétée deux fois dans le récit de saint Paul dans la deuxième lecture, à la fois après les paroles sur le pain et après celles sur le vin. Dans cette perspective, saint Paul conclut son récit concis par une observation précieuse sur la dimension de l’annonce du Christ qui va de pair avec la participation à l’Eucharistie : « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11,26).

Et voici une belle réflexion de Benoît XVI concernant précisément l’Eucharistie et la mission de la communauté des fidèles :

En effet, nous ne pouvons garder pour nous l’amour que nous célébrons dans ce Sacrement [de l’Eucharistie]. Il demande de par sa nature d’être communiqué à tous. Ce dont le monde a besoin, c’est de l’amour de Dieu, c’est de rencontrer le Christ et de croire en lui. C’est pourquoi l’Eucharistie n’est pas seulement source et sommet de la vie de l’Église ; elle est aussi source et sommet de sa mission : « Une Église authentiquement eucharistique est une Église missionnaire ». Nous aussi, nous devons pouvoir dire à nos frères avec conviction : « Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous » (1 Jn 1,3). En réalité, il n’y a rien de plus beau que de rencontrer le Christ et de le communiquer à tous. L’institution même de l’Eucharistie, du reste, anticipe ce qui constitue le cœur de la mission de Jésus : Il est l’Envoyé du Père pour la rédemption du monde (cf. Jn 3,16-17; Rm 8,32). Au cours de la dernière Cène, Jésus confie à ses disciples le Sacrement qui actualise le sacrifice qu’il a fait de lui-même par obéissance au Père pour notre salut à tous. Nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l’existence chrétienne. (Sacramentum Caritatis 84).

Dans la perspective de la déclaration de Saint Paul aux Corinthiens dans la deuxième lecture, il convient de rappeler l’importante clarification du Pape sur la nature de la proclamation chrétienne qui part de la participation au Mystère eucharistique :

Souligner le rapport intrinsèque entre Eucharistie et mission nous fait aussi redécouvrir le contenu ultime de notre annonce. Plus l’amour pour l’Eucharistie sera vivant dans le cœur du peuple chrétien, plus le devoir de la mission sera clair pour lui : porter le Christ. Ce n’est ni une idée ni un commandement moral inspiré par Lui, mais c’est le don de sa propre Personne. Celui qui ne communique pas la vérité de l’Amour à son frère n’a pas encore donné assez. En tant que sacrement de notre salut, l’Eucharistie nous renvoie ainsi inévitablement au caractère unique du Christ et du salut qu’il a accompli au prix de son sang. Par conséquent, du Mystère eucharistique, auquel on croit et que l’on célèbre, naît l’exigence d’éduquer constamment tout le monde au travail missionnaire dont le centre est l’annonce de Jésus, unique Sauveur. (238) Cela évitera de réduire à un aspect purement sociologique l’œuvre déterminante de promotion humaine, qui est toujours impliquée dans tout processus authentique d’évangélisation. (Sacramentum Caritatis 86).

Enfin, une autre réflexion du Pontife, dans le même document, sur la salutation d’adieu à la fin de la célébration eucharistique, nous sera également utile :

Après la bénédiction, le diacre ou le prêtre renvoie le peuple avec les paroles : Ite, missa est. Dans ce salut, il nous est donné de comprendre le rapport entre la Messe célébrée et la mission chrétienne dans le monde. Dans l’Antiquité, « missa » signifiait tout simplement « envoi » (dimissio). Dans l’usage chrétien, ce mot a trouvé une signification bien plus profonde. En réalité, l’expression « envoi » se transforme en « mission ». Ce salut exprime de manière synthétique la nature missionnaire de l’Église. (Sacramentum Caritatis 51)

Prions donc, en conclusion, pour que, comme l’a exprimé le Pape Benoît XVI, « Par l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, que l’Esprit Saint allume en nous la même ardeur dont les disciples d’Emmaüs firent l’expérience (cf. Lc 24,13-35) et qu’il renouvelle dans notre vie l’émerveillement eucharistique pour la splendeur et la beauté qui resplendissent dans le rite liturgique, signe efficace de la beauté infinie elle-même du saint mystère de Dieu » (Sacramentum Caritatis 97). Prions pour que nous puissions tous accueillir toujours avec joie et gratitude le don du Pain « complet » que Jésus nous offre dans chaque célébration eucharistique, le Pain de sa Parole et de son Corps et de son Sang, afin de le partager avec les autres dans notre vie, en proclamant la mort et la résurrection du Seigneur, « jusqu’à ce qu’il vienne ». 

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