La Croix Africa : Quelle est votre perception de cette lettre ?
Père Ambroise Kinhoun : Précisons que la lettre du cardinal Tagle concerne spécifiquement les subsides ordinaires accordés aux diocèses par l’œuvre pontificale de la propagation de la foi. Les subsides pour les séminaires relèvent de l’œuvre pontificale de Saint-Pierre-Apôtre.
Cela dit, l’appel lancé par Rome ne me surprend nullement. Il n’a que trop tardé. Il est certainement le début formel de la fin d’un temps : le temps du syndrome de la mendicité. Si c’est cet appel qui doit réveiller enfin nos Églises locales pour prendre leurs responsabilités historiques d’auto-prise en charge au niveau spirituel, intellectuel et matériel, alors, la lettre du cardinal serait prophétique.
A lire : Les diocèses des pays de mission s’attendent à une baisse de leurs ressources
Si vous avez un bienfaiteur qui vous dit un jour de « renoncer » à l’aide qu’il vous porte, n’est-ce pas une douce manière de vous dire : « trop c’est trop ! » ? Si cela ne fouette pas notre honneur, qu’il couvre nos visages de honte et nous éveille au moins à la modestie d’un mendiant honnête.
Que comptez-vous faire, au niveau du Grand séminaire que vous dirigez afin de suppléer aux manques en vue ?
P-A-K : Les subsides de Rome couvrent environ 20 % du budget annuel de notre séminaire. Les contributions locales sont dérisoires voire ridicules : 2 %. Il y a donc un “manque à gagner” de 78 %. Pour l’heure, nous continuons à mendier au quotidien pour nourrir et instruire les séminaristes sans oublier le traitement du personnel de soutien et les travaux infrastructurels à poursuivre. Malgré toutes les louables initiatives agropastorales (élevage, jardin, champ, etc.), le déficit reste béant. Que faut-il faire ?
Mobiliser tout le peuple de Dieu sur la question de la formation des futurs prêtres. Une récente initiative de la Conférence épiscopale du Bénin a déclaré le mois de mai, « Mois des séminaires ». Espérons qu’elle trouve l’appui de tous les agents pastoraux de notre Église locale. Il nous faut également réussir à déprogrammer dans le mental des séminaristes, l’idée de s’affranchir des travaux champêtres avec le sacerdoce en insistant davantage, dans la formation, sur le sens du bien commun, l’esprit de créativité et de coresponsabilité. Je reste confiant, qu’avec nos séminaristes d’aujourd’hui, peut s’amorcer le renouveau attendu.
À quoi, cette crise qui révèle la fragilité en ressources matérielles des Églises locales d’Afrique, appellent-elles celles-ci ?
P-A-K : Il faut savoir interpréter les signes des temps. C’est le temps de la relève missionnaire dans nos Églises locales. Bientôt, ces Églises auront, pour la plupart, deux siècles d’âge. Il est temps que la profession de foi devienne une nouvelle culture, une nouvelle manière de penser et d’agir empreinte des valeurs assumées de l’Évangile.
Si l’on considère l’urgence de l’auto-prise en charge comme une question conjoncturelle et un simple défi financier, on n’aura rien compris des « signes des temps ». Il s’agit plutôt de la conversion authentique à devenir Église. Donc, l’auto-prise en charge est avant tout, spirituelle. Tant que nous vivrons la foi par procuration, comment voulez-vous qu’elle transforme nos cœurs et nos esprits au point de créer des structures ecclésiales de communion et de synodalité capables de promouvoir notre vivre-ensemble comme Église ?
Trois lieux de formation sont à investir de manière responsable pour relever les vrais défis. Primo, la catéchèse : c’est là où l’identité chrétienne est formée en lien étroit avec la pastorale familiale. Le but visé est la formation du bon chrétien. Secundo, l’enseignement catholique : les écoles et les universités. C’est le sanctuaire où les consciences sont éveillées et structurées à la lumière de la raison droite et de l’éthique sociale chrétienne. Le but visé ici est la formation du bon citoyen. Tertio, les séminaires et les noviciats : c’est là où l’identité missionnaire et la charité pastorale sont formées. Le but visé est la formation du bon pasteur, de bons et saints agents pastoraux.
Propos recueillis par Juste Hlanon, Cotonou, pour La Croix Africa