Chemin de dialogue est une émanation, de l’Institut des sciences et de théologie des religions, de l’Institut catholique de la Méditerranée de Marseille. Chemin de dialogue publie une excellente revue éponyme et quelques livres à propos du dialogue interreligieux.
Franciscains au Maroc est un livre court (175 pages), enlevé, facile à lire. Mais c’est un très grand livre de théologie et de spiritualité missionnaire.
L’auteur, un Franciscain de Meknès, livre sa vision de l’histoire de la mission à travers sept récits concernant les Franciscains au Maroc, de 1220 à nos jours. Ces sept récits lui permettent de dire avec beaucoup de nuances ce qui lui semble essentiel pour aujourd’hui.
Il n’est pas naïf : « La rencontre et la vie en milieu d’islam ne consistent pas seulement en cimes et en service. Il est un quotidien fait de refus de ce que nous portons et de tolérance du bout des lèvres, qui use. » (page 172). Il se sent incompris et ne comprend pas forcément le dessein de Dieu. Mais il sait qu’il doit être là. C’est sa vocation.
Et la lecture de l’histoire éclaire son chemin.
A vrai dire, cette histoire avait mal commencé : dans les années 1220, cinq Franciscains finirent coupés en morceaux pour avoir dénoncé Mahomet comme un suppôt du diable. Ils ne connaissaient rien à l’islam, mais on peut retenir qu’ils étaient généreux, audacieux, désarmés, pauvres.
Nettement plus tard, Juan de Prado (1563-1631) se voulait moins naïf mais, devant un simulacre blasphématoire de la messe, il ne peut retenir sa colère et mourut martyr. Mais ses compagnons purent rester et, très vite, se mirent au service des prisonniers chrétiens du sultan : ils ont vécu la vie des prisonniers… mais leur sens du service, leur endurance aux critiques, leur accueil gratuit de l’action de Dieu leur valurent une réelle estime du sultan et de la population, au moins tant que les relations entre le Maroc et l’Espagne furent bonnes.
Dans les années 1670 régnait au Maroc un sultan à la fois visionnaire pour son pays et sanguinaire. Un Franciscain, Piezo de los Angeles, réussit à devenir son ami, ce qui lui vaudra de se transformer en ambassadeur, en négociateur, en transporteur de fonds… et de « sauver » un grand nombre de captifs victimes de la piraterie du sultan. Il ne fut pas forcément bien vu de l’Ordre, mais sa volonté de se situer comme acteur dans une crise humanitaire (sans pour autant s’y enfermer), son sens du service et son sens de l’amitié firent des merveilles.
Pour notre auteur, le premier grand missionnaire des temps modernes fut José Maria Antonio Luchundi (1836-1896), préfet apostolique. Il est moderne parce qu’il réfléchit à ce que doit être la mission et donne des outils pour arriver à ses fins. Son premier outil, c’est la langue : il devient un spécialiste de la langue populaire marocaine. Son amour pour le peuple marocain le pousse à vouloir le voir grandir. Pour lui, l’éducation est le levier par lequel le peuple peut devenir lui-même. A l’école, il pense qu’il faut adjoindre l’hôpital. Auprès de lui, le missionnaire apprend que l’amour d’un peuple se manifeste par la volonté de la promotion des personnes.
Charles-André Poissonnier (1897-1938) se sait appelé à être missionnaire au Maroc… alors sous une domination coloniale. Il s’inspire du Père de Foucauld, veut d’abord vivre sa vie de foi au milieu des Marocains et gagner les cœurs par la qualité de sa recherche de Dieu et par son sens du service, enfin, quand le cœur à cœur est établi, dire sa foi… tout en sachant que c’est Dieu qui est le maître des cœurs. Le Père Poissonier vit à Tazert, soignant près de 10 000 personnes par an, mais vivant spirituellement dans une grande solitude… et découvrant dans sa vie l’unité entre action et contemplation.
Jean-Mohammed Abd El Jalil (1904 -1979) est un Marocain converti, devenu Franciscain… et, de fait, exilé en France. Son apport est simple. Pour lui, le chrétien, au nom de l’Evangile, ne peut pas faire l’économie de la connaissance de l’islam. Il doit admettre l’islam tel qu’il est. Ne pas poser à Dieu, ne pas se poser la question : pourquoi existe-t-il ? Pourquoi Dieu le permet-il ? En revanche, approfondir suffisamment l’essentiel de la foi chrétienne pour permettre aux musulmans de découvrir que le Christ peut illuminer leurs recherches profondes. Pour être reçus, les chrétiens doivent répondre à ce que recherche profondément le Coran par le meilleur de notre foi. Le Père Jean-Mohammed a été un des inspirateurs du texte de Vatican II sur les relations avec les autres religions (Nostra aetate).
Le voyage historique se termine avec Antonio Peteiro Freire (1936 – 2010), archevêque de Tanger en 1983 C’est l’archevêque d’une Eglise très minoritaire, souvent liée dans les esprits au passé colonial et, aujourd’hui, ouverte aux nombreux subsahariens se trouvant au Maroc. Au fond, il conclut la pensée sur la mission par l’amour du pays, le sourire et la gratuité… et par cette confiance totale en Dieu dont les chemins ne sont pas nos chemins.
Ce livre n’aborde pas la question de la liberté de conscience, ni celle des mariages interreligieux, ni ce qui vient à l’esprit quand on connaît la situation des chrétiens au Maroc. Mais il explique la volonté de l’actuel évêque de Rabat de ce que l’Eglise au Maroc soit un ferment de communion. Mais il fait comprendre de l’intérieur le sens d’un voyage du Pape dans les pays musulmans et sa volonté de substituer à la confrontation le dialogue et la coopération.
† Michel Dubost
Directeur national des OPM
Compte-rendu suggéré par « Chrétiens de la Méditerranée »
A lire : « Franciscains au Maroc, Huit siècles de rencontres » / Frère Stéphane Delavelle. _ Chemin de dialogue, Marseille, 2019.
Pour aller plus loin, documents du service des archives des OPM :
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