Chaque dimanche ou Solennité, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
23ème dimanche du Temps Ordinaire (Année C) – Sg 9,13-18; Ps 89; Phm 9b-10.12-17; Lc 14,25-33
Les sages recommandations que nous avons entendues de la bouche de Jésus ces derniers dimanches, atteignent leur point culminant et le plus controversé avec l’enseignement de ce dimanche. Le Maître de Nazareth, s’adressant à “de grandes foules “ qui le suivaient au cours de la dernière étape de son voyage vers Jérusalem, a posé des exigences radicales à ses disciples potentiels. Ce sont des recommandations très fortes qui interpellent tout “esprit sain” humain, à commencer par la demande d’« aimer moins » les parents : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, (…) il ne peut pas être mon disciple. » Il faut souligner que la phrase dans le grec original sonne encore plus drastique avec le verbe miseo “haïr” que diverses traductions modernes évitent d’utiliser précisément à cause de sa connotation émotionnelle : “Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère (…), il ne peut être mon disciple”. De telles paroles aussi fortes ne semblent pas avoir été prononcées “au hasard” ou à la légère (comme me l’a confié une connaissance bouddhiste vietnamienne qui, tout en notant que les instructions de Jésus en question étaient trop difficiles à comprendre, a simplement fait remarquer : “Si Jésus a dit cela, c’est qu’il doit y avoir une signification !) Ils nous invitent donc tous à une réflexion sérieuse sur leur signification et, par conséquent, sur notre appel à suivre Jésus.
Le renoncement radical à toutes les “possessions”
Pour bien comprendre l’enseignement de Jésus dans l’évangile de ce dimanche, il convient de noter sa structure spécifique (techniquement appelée inclusio), où la phrase de conclusion rappelle la phrase initiale pour souligner le point central de tout le discours : « Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » À la lumière de cette conclusion, la demande initiale faite à tout disciple potentiel de “haïr” “son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et même sa propre vie” concerne en fait le renoncement à tous les biens que l’on possède et que l’on cultive.
Nous avons entendu dans le passé la recommandation de Jésus de renoncer aux biens matériels pour entrer dans le Royaume de Dieu. Or, il est également recommandé au disciple de renoncer de manière radicale et héroïque à l’amour des membres de sa famille et à la vie elle-même pour suivre Jésus. En d’autres termes, il est demandé au disciple d’aimer Jésus avant ses proches et avant lui-même, comme l’explicite le texte parallèle de l’Évangile de Matthieu :
Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. (Mt 10,37).
Le renoncement que Jésus demande ici à chacun de ses disciples est celui qu’il a lui-même déjà pratiqué pour Dieu, pour le Royaume et pour accomplir la mission de Dieu. Il a en effet quitté tout et tous pour se consacrer totalement et librement à la cause du Royaume et former la nouvelle famille de Dieu selon le plan divin du salut. La recommandation, par conséquent, de “haïr” également les parents, dans le sens de les “aimer moins” ou de les “abandonner”, n’a pas pour but de remettre en question le commandement du Décalogue d’honorer le père et la mère, mais plutôt de souligner la pratique concrète du premier commandement de toute la Loi divine : aimer Dieu par-dessus toutes choses/personnes et de tout son coeur, de tout son esprit et de tout son être. Jésus demande alors à ses disciples potentiels de suivre son propre chemin, en mettant Dieu et lui-même au premier plan et en se joignant à lui pour le voyage emblématique vers Jérusalem.
Embrasser la « croix »
Du point de vue de Jérusalem, on peut comprendre pourquoi Jésus poursuit son enseignement en recommandant de porter “sa propre croix”. Il est facile de voir que l’image modèle reste ici le chemin de croix, que Jésus lui-même a porté. On entend par là toutes les difficultés, les adversités, les persécutions sur le chemin de la vie et de la mission pour le Royaume de Dieu à vivre avec Jésus et comme Jésus. À tel point que Jésus lui-même a parlé de la “croix quotidienne” dans la vie de ceux qui le suivent : “Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple”.
La perspective de la “croix” part et s’inscrit dans le mystère de la Croix du Christ pour le salut du monde. C’est en effet la sagesse de Dieu qui apparaît comme une folie, une grande folie pour le monde, comme l’a bien expliqué saint Paul (cf. 1 Co 1, 18-31). Ainsi, le discours de la croix que Jésus offre maintenant à ses disciples potentiels ne provient certainement pas d’un raisonnement terrestre, mais d’un raisonnement céleste. En d’autres termes, elle vient de Dieu dans le Christ, de la vraie sagesse dans laquelle, selon les expressions du livre de la Sagesse, « les hommes ont été instruits de ce qui te [Dieu] plaît », et « ont été sauvés par la sagesse. » Ainsi, chaque fois que nous, ses disciples, portons notre “croix” avec et dans le Christ, nous accomplissons également sa mission pour le salut du monde entier.
La sagesse de Dieu contre la sagesse humaine : la perspective sapientielle et divine
Les instructions de Jésus aujourd’hui révèlent donc une sagesse divine particulièrement différente et en contraste avec la sagesse humaine. Elles nécessitent donc aussi un raisonnement judicieux, comme Jésus l’a recommandé dans les deux paraboles de la construction de la tour et du roi partant en guerre. Il faut toujours raisonner, toujours réfléchir sur les forces dont on dispose pour faire face à la “tâche” d’être un disciple de Jésus dans la très ardue et noble mission de porter l’Évangile de Dieu au monde entier et dans chaque lieu où nous vivons. Cependant, il s’agit de raisonnements qui doivent évidemment être effectués non pas selon un raisonnement humain, mais divin (car en effet, « les pensées des mortels sont timides, et incertaines leurs inventions », en raison d’un « corps corruptible » et d’un « esprit plein de soucis » ; cf. Sg 9,18). Il est donc nécessaire de garder à l’esprit les “paradoxes divins” que Jésus lui-même a affirmés :
Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8,35), ainsi que « celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des soeurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. (Mt 19,29).
La sagesse, donc, dans le cheminement du disciple consiste toujours à se faire humble devant Dieu, comme nous l’avons appris la semaine dernière, et à placer la foi, la confiance et la force non pas tant dans sa propre sagesse humaine limitée, mais en Jésus et dans ses paroles, puisque Lui seul « a les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68), comme l’a professé saint Pierre, et puisque, comme l’a affirmé saint Paul à travers son expérience de disciple missionnaire : « Je peux tout en Celui qui me donne la force » (Ph 4,13). Qu’il en soit ainsi. Amen !