22 Fév 2020

Témoignage : itinérance émerveillée de langue en langue

Né en 1930, on m’a mis à l’école de la République à 7 ans. Je ne connaissais pas un mot de français. Pas un seul mot. Pourtant, il nous était interdit de parler le basque sous peine de punition.  Si quelqu’un parlait basque en cour de récré (ce qui était courant) on lui refilait une buchette (entre nous, on la dénommait « l’anti-basque ») et vlan ! sur celui/celle qui se trouvait en possession de la buchette en fin de matinée ou de soirée.

Quelle punition ? Je m’en souviens à peine. Probablement une « retenue disciplinaire » pour nous empêcher de vivre nos jeux favoris : bagarres organisées entre quartiers du même village, pelote basque… Dans un petit village de 350 habitants, nous avions quand même 4 « frontons », aires de jeu de pelote basque.

Plusieurs de mes camarades ont vécu très douloureusement cette agression violente. Ce ne fut pas mon cas. Je me souviens très bien que le temps passé à l’école était petit par rapport au temps vécu hors école.  Bien sûr je ne parle pas de temps chronométré mais de temps psychologique. Car, dès la sortie, on jouait en basque ! On s’insultait, se moquait, mentait, priait… en basque. Et, à la maison, on ne parlait que basque évidemment. 

Plus tard… Dans les années 1960, en tant que missionnaire des Missions Africaines, j’ai découvert l’Afrique. Le Bénin et Ouidah d’abord. J’ai habité juste en face du Temple du Serpent.

Et je me suis mis tout de suite à la pratique des langues africaines, indispensables pour manier convenablement les codes si sophistiqués de la politesse et de la pudeur et aussi pour pénétrer un peu dans les arcanes si complexes des systèmes de parenté.

Assez vite, je me suis senti très à l’aise. Alors que plusieurs de mes confrères parlaient de « choc culturel », j’ai retrouvé dans l’Afrique des villages et des villes ce que je connaissais depuis les genoux de ma mère et dans mon petit village, dans mon école, dans mon église et qui m’habitait si fort : tendresse et bienveillance, générosité et égoïsme, jalousie et aversion… Jusqu’aux jeux de la séduction amoureuse… Oui, tout cela m’habitait et je le retrouvais avec émerveillement, enrobé d’une culture autre que celle de mon enfance.

J’en suis persuadé : oui, la différence culturelle existe, et d’abord la langue avec ses mots, ses silences et sa gestuelle ; mais la ressemblance humaine est bien plus ample, grandiose même.  Et, au-delà des mots, c’est elle qui nous permet de nous dire les uns aux autres.

Me voilà donc confronté à la langue Fon. Langue à tons. Aidé par un informateur et un répétiteur, je reprends des mots, des phrases à longueur de journées, peinant à situer les syllabes à leur bonne hauteur.

Avec d’autres confrères, nous nous mettons à la transcription de cette langue. Le dictionnaire préparé par le père Ségurola nous y a beaucoup aidés. Il nous a fallu faire construire une machine à écrire par Olivetti, incluant quelques lettres, inusitées en français et quelques tons : montants, descendants, neutres, descendants-montants et montants-descendants.

Pendant ce temps, des confrères béninois et togolais ont travaillé la langue Mina.

Puis je me suis trouvé en milieu Adja. N’étant pas linguiste, j’ai eu recours à l’Association Afrique et Langage (Jésuites à l’Université d’Abidjan).  Nous avons préparé une méthode d’alphabétisation, traduit des textes, recueilli de mots, expressions et proverbes en vue d’une éventuelle édition.

Je le reconnais, je n’ai pas toujours été très docile aux souhaits de ma hiérarchie. Et ce n’est pas pour rien que l’on m’a expédié jusqu’au Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo. Là, je me suis mis au Kikongo avec grand bonheur.

Illustration tirée de TamTam, annales de la Sainte-Enfance, bibliothèque des OPM.

Pétri de nouvelles langues, je suis pourtant resté fidèle à la littérature française. De la Chanson de Roland à Ronsard, de Victor Hugo, Chateaubriand à Baudelaire et tant d’autres, d’Eric Orsenna à Marguerite Duras. Encore aujourd’hui, je lis beaucoup.

Erramun Harguindéguy

 

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