Sénégal, solennité de la Sainte Trinité : 6 juin 2004.
Pour notre communauté de trois prêtres, la journée s’annonce chargée : cinq messes et deux retraites de communions et confirmations ! Sans tarder, je pars donc pour Niafor avec mon inséparable Suzuki 4×4 JX qui marque au compteur un total de 82059 km.
Première étape à 8h : Temento-Niafor, 2 km d’asphalte.
La communauté chrétienne est déjà présente dans l’église et aussi dehors. Il y a beaucoup de gens non seulement parce que nous sommes dimanche, mais aussi parce que 11 enfants seront baptisés. Le plus petit a 4 mois et le plus grand 3 ans. Parmi les onze, deux jumeaux : un petit garçon et une petite fille. Je vous laisse imaginer la joie des gens et déjà l’animation très vivante des onze marmots. Nous avons l’impression d’être dans une maternité ! Après la messe, le temps de serrer quelques mains, de s’embrasser, de se sourire, il ne faut pas s’attarder.
Deuxième étape à 10h : Niafor-Madina, 12 km dont 6 d’asphalte et 6 de piste.
À peine arrivé, je m’aperçois que l’église est encore déserte. Il y a un groupe de garçons à l’ombre d’un grand manguier et beaucoup d’adultes autour de la maison de la famille Mansaly. Je demande s’il est arrivé quelque chose. Le catéchiste s’approche et m’informe qu’une femme du village, Amy, finissait de balayer la chapelle lorsqu’elle a fait une fausse couche. Elle en était à son quatrième mois de grossesse.
A la maison, la femme était étendue par terre sur une natte de cannes tressées et se tordait en se plaignant d’atroces douleurs. D’autres femmes de la famille et des voisines essayaient en vain de la consoler. Amy est déjà maman de cinq enfants et celui-ci devait être le sixième. Mais « il est parti » comme l’on dit ici. Avec le catéchiste, nous décidons de célébrer la messe puis de conduire Amy à la maternité la plus proche. A la fin de l’homélie, j’ai invité les fidèles à prier pour la santé d’Amy. Elle avait nettoyé la chapelle pour rendre accueillante la maison de Dieu, et puis elle a perdu son bébé. Il n’est pas facile de dire quoi que ce soit en pareille situation. En mon cœur je me disais : « C’est un bébé né dans l’amour et pour l’éternité. » Sa maman a préparé la demeure de Dieu, en la nettoyant, et Dieu a directement accueilli son bébé dans sa demeure divine.
Troisième étape. à midi : Madina-Simbandi, 26 km dont 6 de piste et 20 d’asphalte.
J’accompagne Amy avec son mari et une parente. Ici, le médecin généraliste le plus proche se trouve à 75 km, à Ziguinchor, qu’on rejoint en une heure et demie. Chemin faisant, je tâche d’aller prudemment, en évitant les trous aussi bien sur la piste que sur la route goudronnée ! Certes « Venez et voyez » dit Jésus, mais j’ose ajouter « Essayez et vous vous rendrez compte… ! » Je ne voulais pas donner d’autres douleurs inutiles à Amy qui, comme beaucoup de gens de ce milieu savent souffrir dignement, en silence. Je ne pouvais pas ne pas lui dire que nous avions prié pour sa santé et pour le repos éternel de son bébé. Ses yeux étaient brillants, et les miens aussi… A Simbandi, je la confie à l’infirmière de la maternité, et je pars au rendez-vous avec mes confrères.
Quatrième étape. 12h50 : Simbandi-Samine, 22 km d’asphalte.
Arrivé à l’église, je suis extasié en voyant beaucoup d’adolescents et de jeunes venus pour le sacrement de la réconciliation, quelques-uns en vue de recevoir leur première eucharistie et d’autres pour être confirmés dans la foi. À 13h15 nous commençons les confessions sous une chaleur accablante. Trois prêtres pour 185 adolescents et jeunes, désireux de demander pardon à Dieu, et se laisser combler de son amour miséricordieux. Chacun attend son tour, et entre-temps nos jeunes prient et chantent, dans le « sauna » ambiant !
À 15h30, nous déjeunons enfin d’un bon plat de riz au poisson : un bol pour chaque groupe de 10 jeunes, sous l’ombre agréable des manguiers en forme de parasols déployés. Avant de nous quitter, nous n’oublions pas les traditionnelles annonces paroissiales traduites en deux autres langues locales : balante et mancagne.
Cinquième étape. 17h30 : Samine-Temento, 7 km d’asphalte à parcourir pour rejoindre la maison.
Ainsi se termine la solennité de la Sainte Trinité.
Aujourd’hui j’ai mieux compris ce mystère inexplicable d’un Dieu en trois personnes. Dieu Père qui par amour donne au monde son Fils ; son Fils Jésus qui, toujours par amour, donne sa vie pour l’humanité en mourant sur la croix ; l’Esprit Saint enfin qui par amour descend sur chacun de nous pour nous encourager sur le chemin de foi.
Le mystère de la Trinité me fait penser au principe des vases communicants, en espérant ne pas dire une idiotie, ni scandaliser quelqu’un… Trois vases communicants liés par un même amour ; chaque vase est bien distinct de l’autre, mais chacun a la même mesure d’Amour.
Que ce même amour continue à circuler dans nos veines et dans les cœurs de tous les êtres humains. Transformons le monde, à l’exemple de la Trinité, avec l’amour des uns envers les autres. Que l’Amour nous tienne unis, malgré nos différences.