Un appel vers les frontières de l’Église
Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse même si j’ai été baptisée toute petite. A l’âge de 8 ans, c’est la lecture d’une bible pour enfant qui a bouleversé ma vie en me faisant découvrir Dieu. J’ai reçu la foi comme un don gratuit, et je me suis mise à chercher comment rencontrer Dieu, et j’ai trouvé l’Église…Ma vocation religieuse est le fruit de ce cheminement et de la rencontre avec Jésus à travers l’Évangile…
À l’âge de 16 ou 17 ans, j’ai cherché à connaître les différentes formes de la vie religieuse pour savoir où Dieu m’appelait. J’ai vite senti que la fraternité des Petites Sœurs de Jésus était un lieu pour moi. J’ai été attirée par cette vie simple et fraternelle, centrée sur l’Évangile, et aussi par cette présence aux frontières de l’Église, pour témoigner de l’amour de Dieu par la vie ordinaire, les relations, l’amitié… Je suis entrée à la Fraternité en 1992 à l’âge de 24 ans.
Un noviciat en terre d’Islam
J’ai été envoyée au Maroc pour mon année de noviciat. À l’origine, nous avons été fondées en Algérie pour les nomades du Sahara. Vivre un noviciat dans un pays musulman, au Maghreb, c’était un peu comme retrouver notre milieu originel. J’ai été touchée et interpelée par les croyants que j’ai rencontrés. J’ai découvert la beauté de leur foi, de leur culture marquée par l’hospitalité et l’accueil de l’étranger. J’ai aussi découvert les multiples défis de la rencontre, ses joies et ses incompréhensions.
À ce moment-là, j’ai fait la connaissance de frère Christian de Chergé (prieur de Tibhirine, assassiné avec six frères en 1996). Cela m’a fait découvrir un chemin pour vivre la rencontre. J’ai senti combien ces défis étaient aussi un extraordinaire stimulant pour mon propre chemin de foi. Si Dieu est le Tout Autre, la rencontre avec ces frères et sœurs de religion différente n’a-t-elle pas quelque chose à me dire de Lui ? J’ai accueilli cet appel de Dieu dans ma vie… Après être retournée en France pour continuer ma formation, j’ai été envoyée au Maroc après mes vœux perpétuels en 2003.
Les signes qui me confirment
La vie religieuse n’est pas un chemin solitaire et c’est très important pour moi d’avoir été envoyée par ma communauté dans ce pays. Cet envoi n’est pas seulement le fruit de mon attrait, mais celui d’un discernement avec la Fraternité. Cela me donne une grande paix, une grande confiance. Nous avons cherché ensemble le chemin de Dieu… Dans les moments difficiles, j’ai toujours pu me tourner vers Dieu et Lui dire « Je ne suis pas venue de moi-même, c’est Toi qui m’as envoyée ». Cela m’ouvre la porte de la confiance, je sais qu’il ne m’abandonnera pas ! Dieu a beaucoup d’imagination pour nous ouvrir des chemins de vie…
« Je suis partie au Maroc en y voyant ma terre promise, mon lieu où marcher avec Dieu »
Je n’ai jamais eu beaucoup d’appréhensions. J’ai toujours senti que j’étais appelée à quitter mon pays. La vie religieuse est profondément un appel à tout quitter à cause de Jésus et de son Évangile. Avant de quitter mon pays, j’avais d’abord quitté ma famille, mon milieu, mon travail… J’ai toujours senti que la parole de Dieu à Abraham était pour moi « Va, quitte…va vers le pays que je te montrerai ».
Je suis partie au Maroc en y voyant ma terre promise, mon lieu où marcher avec Dieu. Et puis, je savais que j’allais rejoindre des sœurs, qui connaissaient le pays, la langue, les habitudes. C’est un grand soutien. C’est dans la vie communautaire que j’ai puisé l’audace d’aller à la rencontre d’un autre monde… Il m’a fallu du temps pour apprivoiser mon nouveau milieu et me laisser apprivoiser. J’ai eu la chance de trouver vite un travail comme ouvrière dans un petit atelier de chocolat et cela m’a bien aidée à m’immerger dans le monde marocain. Au bout d’un long temps, j’ai commencé à me sentir chez moi au Maroc !
« L’autre a toujours quelque chose à nous faire découvrir de Dieu »
Charles de Foucauld nous ouvre un beau chemin pour aller à la rencontre de l’autre. Un chemin qui nous met à l’école de l’autre, où nous apprenons à nous réjouir de tout ce qu’il y a de beau et de bon chez lui, dans sa culture, dans sa foi. L’autre, même (et surtout) s’il est considéré comme un pauvre selon certains critères a toujours quelque chose à nous faire découvrir de Dieu.
Je suis très touchée de penser que frère Charles (de Foucauld), qui brûlait de crier l’Évangile par toute sa vie, quand il est arrivé à Tamanrasset chez les Touaregs s’est mis à l’écoute non seulement de leur langue, mais aussi de leur culture, passant des heures sous les tentes à recueillir des poèmes et des proverbes… Nous-mêmes, Petites Sœurs qui voulons vivre de sa spiritualité, nous sommes invitées à nous « mettre à l’écoute de l’âme religieuse de ceux qui nous entourent et à essayer de les rejoindre jusque dans l’intuition profonde qui les met en contact avec Dieu » (Constitutions des Petites Sœurs n 66).
Un grand cadeau de Dieu : l’amitié profonde et le partage spirituel avec des frères musulmans
Rencontrer l’autre au meilleur de son cœur nous aide à nous ouvrir au meilleur de nous-mêmes. À cette lumière, nous sommes invitées à élargir nos horizons. Nos images de Dieu, notre compréhension de la vie de foi sont appelées à s’élargir de même que notre sens de la mission…Sur ce chemin, l’amitié profonde et le partage spirituel avec un frère, une sœur vivant sa foi musulmane comme un chemin du cœur vers Dieu est un grand cadeau.
« Être Petite Sœur de Jésus ; c’est m’engager sur un chemin de fraternité “universelle”, une fraternité qui n’exclut personne »
Nous sommes envoyés témoigner de l’Évangile, de la Bonne Nouvelle du Royaume, mais cela ne va pas nécessairement augmenter le nombre de baptisés dans l’Église Catholique. Nous témoignons d’abord par notre vie. Parfois c’est le seul Evangile auquel les gens que nous rencontrons auront accès. Quelle responsabilité. En même temps nous découvrons que le Royaume de Dieu est plus grand que l’Église visible…C’est Dieu qui convertit, qui sauve et sait se manifester à chacun, par les chemins qu’Il veut.
Nous, nous avons à témoigner du bonheur que l’Évangile met dans nos vies, de l’accueil inconditionnel de Dieu pour chacun. Être Petite Sœur de Jésus, c’est m’engager sur un chemin de fraternité « universelle », une fraternité qui n’exclut personne…La nouvelle de la canonisation de Charles de Foucauld est pour moi une grande joie. Je crois que le chemin de vie évangélique qu’il a ouvert est une richesse pour toute l’Église, et je crois que c’est aussi cela que vient signifier sa canonisation.
Le sens de la présence de l’Église au Maroc : la fraternité universelle !
En mars 2019 nous avons eu la grande joie de la visite du Pape François au Maroc, peu de temps après la signature de la déclaration sur la Fraternité Humaine avec le Cheikh Ahmad Al Tayyeb à Abu Dhabi. Maintenant il y a la parution de l’encyclique « Fratelli Tutti ». Il me semble que ces trois évènements sont en continuité les uns avec les autres. La rencontre à Rabat du Pape François avec le Roi Mohammed VI, en tant que commandeur des croyants a été un grand moment. Les entendre tous les deux parler de fraternité avec des croyants d’une autre religion m’a confirmée dans le sens de la présence de notre petite Église sur cette terre marocaine.
« Être baptisé, c’est déjà en soi une mission »
Être baptisé, c’est déjà en soi une mission, un envoi. Ce n’est pas forcément faire des choses extraordinaires ou tout quitter. Chacun de nous a à chercher le chemin que Dieu veut pour lui, où il pourra donner le plus de fruit. Nous pouvons recevoir la vie que nous avons, le travail que nous faisons comme une mission. Peut-être serons–nous étonnés de découvrir que nous faisons les mêmes choses mais avec une tout autre lumière…Et nous serons peut–être les premiers surpris de tout ce que Dieu accomplira avec nous, par nous et en nous…
Petite Sœur Lucile de Jésus