Homélie de Mgr Colomb, fête de la Toussaint
Nous sommes invités au courage
L’apôtre Jean nous raconte dans l’Apocalypse la vision qu’il a eue à Patmos : une immense procession de 144.000 personnes appelées “serviteurs de Dieu”. Ce sont les baptisés, d’une part, et une foule immense représentant tout l’univers, vêtus de blanc, robe des noces, les palmes à la main, les palmes de la victoire. Ils sont debout, comme le Ressuscité.
Tout nous dit qu’ils sont sauvés et ils le proclament : “le Salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône, et par l’agneau”. Pourtant, les membres de cette deuxième foule ne sont pas marqués du sceau du baptême.
Qui les a introduits dans le Salut ? Et bien ce sont les 144.000, les baptisés. Or les chrétiens sont affrontés en cette fin du premier siècle à la persécution de l’empereur romain Domitien.
Le message de saint Jean, dans le livre de l’Apocalypse, aux chrétiens persécutés du 1er siècle est valable pour nous aujourd’hui : “tenez bon, votre témoignage portera du fruit. Dans votre épreuve, se trouve le Salut de tous les hommes”. Grâce à votre grande épreuve (la persécution), la foule innombrable des nations sera sauvée.
Le discours de saint Jean qui nous est rapporté, une apocalypse, un écrit clandestin qui circulait sous le manteau à la barbe des autorités romaines en cette fin de 1er siècle, s’adressait à des croyants sous la menace perpétuelle de la persécution, comme tous les messages adressés à des réseaux de résistance. Il est écrit dans un langage codé, compréhensible par des initiés.
Chers amis, cette invitation à tenir bon, c’est-à-dire à être courageux, à être nous-même, des chrétiens, c’est à nous qu’elle s’adresse aujourd’hui. Le psaume et l’évangile nous tracent le chemin de ce courage auquel nous sommes invités :
Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, recherche la face de Dieu, le psaume 23 nous le rappelle. L’homme au cœur pur est celui qui ayant recherché Dieu ne connaît plus la haine, l’homme aux mains innocentes ne fait plus le mal, c’est cela la bénédiction de Dieu, la justice de Dieu dont parle le psalmiste.
Nous pouvons facilement faire le rapprochement entre le psaume et l’évangile de ce jour : “Heureux ceux qui ont soif de la justice, heureux les cœurs purs” et surtout ce dernier verset du psaume : “Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu”, n’est ce pas une bonne définition de la pauvreté de cœur dont parle Jésus dans les Béatitudes ?
Invités à la contemplation
“Mes bien-aimés, voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a aimés”. Nous sommes invités à regarder, à voir. N’est-ce pas la clef de notre vie de foi ? Il faut savoir regarder ! L’histoire humaine est l’histoire de l’éducation du regard de l’homme. Les prophètes nous l’ont dit : “ils ont des yeux pour voir et ne voient pas”.
Ce thème du regard est développé dans toute la bible. Il s’agit de savoir regarder, d’ouvrir les yeux, pour découvrir le vrai visage du Dieu d’amour. Le regard peut aussi être faussé. La connaissance et l’amour de Dieu font appel à l’exercice de nos sens, de notre intelligence, de notre jugement.
Il y a ceux qui croient en Jésus-Christ, nous en sommes, et ceux qui s’y refusent. Ce qui est lumineux pour les croyants est incompréhensible pour les non-croyants. C’est un thème habituel chez saint Jean : “voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître puisqu’il n’a pas découvert Dieu”, c’est-à-dire parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux.
C’est notre mission, chers disciples-missionnaires, de révéler Dieu, de partager notre foi, par nos actes, nos paroles, nos silences, à ceux qui ne le connaissent pas encore.
Vivre le message des béatitudes
Ce message peut choquer (“heureux ceux qui pleurent”), de même que les autres béatitudes. Il faut pour le comprendre connaître le sens du mot heureux, très habituel dans l’Ancien Testament. Il ne s’agit pas d’un constat de bonheur comme si nous disions “tu as de la chance”, il s’agit d’un encouragement à tenir bon. Ce message adressé à des gens qui pleurent est une invitation à ne pas se décourager, à ne pas changer de ligne, quelles que soient les difficultés.
Nous retrouvons le même message que celui entendu dans le livre de l’Apocalypse, la première lecture. Le pape François nous invite à vivre le fraternité. Il faut, pour cela, commencer par faire l’expérience de la miséricorde de Dieu. Nous pouvons verser des larmes lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance des autres, par la dureté du monde.
Dans tous ces cas, nous sommes sur le bon chemin, nous pouvons alors penser au bonheur de pleurer parce que nos cœurs de pierre deviennent des cœurs de chair. Nous pourrions reprendre une à une chaque béatitude pour en approfondir le sens et en découvrir la richesse. “Heureux les pauvres de cœur” n’est pas l’éloge de la pauvreté matérielle, toujours présentée dans la bible comme un mal à combattre.
Les pauvres, au sens bibliques, les « anavim », ce sont ceux qui n’ont pas le cœur fier ou le regard hautain. La sagesse populaire rejoint la sagesse biblique lorsque nous entendons dire de quelqu’un, comme un compliment, “il n’est pas fier, on peut lui parler”. Nous sommes invités à rechercher l’esprit de pauvreté, l’esprit de celui qui n’est pas suffisant, satisfait de lui, orgueilleux, mais qui recherche Dieu.
C’est cet esprit qui nous fait dire “Kyrie Eleison”, “pardon, Seigneur”, c’est cet esprit qui nous permet de grandir, de devenir des hommes debout, courageux, sages. J’insiste sur le courage , c’est la vertu qui fait le plus défaut dans notre société !
Vous le comprenez bien, chers frères et sœurs, cette première béatitude est celle qui nous permet d’accueillir, de faire nôtre, toutes les autres béatitudes. La publicité nous invite a recherche le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. L’Eglise nous invite à bien utiliser l’avoir, le pouvoir, le savoir pour chercher Dieu, le bien commun.
Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes, un autre regard. Il nous dit que le royaume est là où ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur, la douceur, les larmes, la faim, la soif de la justice, la persécution. Au plan humain, cela est paradoxal et aucun parti politique ne vous livrera le message des béatitudes dans son programme.
Cet évangile, frères et sœurs, doit nous conduire à une grande action de grâce : notre faiblesse devient la matière première du règne de Dieu dans nos cœurs, dans le monde. Ce ne sont pas nos éventuelles vertus qui nous conduisent à la sainteté, c’est le regard aimant de Dieu qui nous y conduit.
C’est ce regard qui a croisé celui de nos frères et sœurs qui sont devenus des saints que nous vénérons en ce jour de fête, c’est ce regard qui a croisé celui des hommes et des femmes de bonne volonté que nous comptons dans nos familles, parmi nos défunts et dont nous honorons la mémoire en allant prier sur leurs tombes.
Bonne fête de Toussaint !